Article du célèbre éditorialiste George Monbiot dans "The Guardian" (16/03/2009) au sujet de la Conférence scientifique internationale sur les changements climatiques qui s’est tenue à Copenhague du 10 au 12 mars dernier.
Traduction intégrale de ce texte réalisée par le site contreinfo.
"Le moment où on aurait pu éviter un réchauffement de la planète de 2 degrés est passé. Les occasions d’y parvenir ont été gâchées pour cause de déni et de retard à agir. Sur la trajectoire actuelle, nous aurons de la chance si nous en tirons avec 4 degrés. Les mesures d’atténuation, de limitation des émissions de gaz à effet de serre, ont échoué, et désormais nous devons nous adapter à ce que la nature nous réserve. Si nous le pouvons.
Tel était, en tout cas, le murmure insistant entendu durant la conférence sur les changements climatiques à Copenhague la semaine dernière [1]. C’est à peu près le message que Bob Watson, le conseiller scientifique principal pour l’environnement au ministère de l’Environnement, a délivré au gouvernement britannique [2]. C’est également la conclusion évidente, quoique non exprimée, que tirent des dizaines de scientifiques. Par exemple, les travaux récents menés par des chercheurs du Tyndall Centre for Climate Change Research, indiquent que même avec une réduction à l’échelle mondiale des émissions de 3% par an à partir de 2020, pourrait nous conduire à un réchauffement de quatre degrés d’ici à la fin du [3] [4] À l’heure actuelle, les émissions croissent au contraire à peu près à ce rythme. Si cela se poursuit ainsi, quelles en seront les conséquences ? Six ? Huit ? Dix degrés ? Qui sait ?
Face à de tels chiffres, je ne peux blâmer quiconque qui serait tenté par le renoncement. Mais avant de succomber à cette fatalité, permettez-moi de vous exposer les choix auxquels nous sommes confrontés.
Certes, il est vrai que les mesures visant à la limitation des émissions ont échoué jusqu’ici. Sabotées par Clinton, désertées par Bush, menées à contre-coeur par les autres nations riches, les négociations mondiales sur le climat ont jusqu’à présent été un échec total. Les objectifs qu’elles ont fixé sont sans rapport avec ce qu’impliquent les données scientifiques et sont vidées de leur sens en raison de leurs lacunes et de règles de comptabilisation insincères. Les nations qui, comme le Royaume-Uni, respectent leurs obligations envers le protocole de Kyoto, n’y parviennent que parce qu’elles externalisent leur pollution vers d’autres pays [5] [6]. Un pays comme le Canada, qui fait fi de ses obligations, ne subit aucune sanction.
Lord Stern a été trop optimiste : il semble avoir sous-estimé les coûts de la limitation des émissions. Comme l’a montré Dieter Helm, un universitaire spécialiste des questions de politiques énergétiques, l’hypothèse de Stern selon laquelle notre consommation pourrait continuer à croître, alors que nos émissions diminueraient, est invraisemblable [7]. Pour avoir une chance de parvenir à des réductions substantielles, nous devons à la fois réduire notre consommation et transférer des ressources vers des pays tels que la Chine afin de financer le passage à des technologies à faible émission de carbone. Comme le note M. Helm, " l’étude de la nature humaine et de la biologie humaine, ne donne que peu de raisons d’être optimiste. "
Pourtant, nous ne pouvons pas renoncer à la limitation des émissions, sauf à disposer d’une meilleure option. Ce n’est pas le cas. Si vous pensez que nos tentatives pour prévenir les émissions sont futiles, considérez donc quels efforts seront requis pour s’adapter au réchauffement.
Là où Stern semble avoir raison c’est lorsqu’il suggère que les coûts induits par la prévention de la catastrophe climatique - aussi grand soient-ils - sont bien inférieurs à ceux de l’adaptation pour la supporter. L’Allemagne investit 600 millions d’euros uniquement pour construire une nouvelle digue de protection pour Hambourg [8] - et cette somme a été engagée avant même que l’on sache que l’élévation du niveau de la mer durant le siècle pourrait être deux ou trois fois plus importante que ce qu’avait prévu le Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Changement Climatique [9]. Les Pays-Bas vont dépenser 2,2 milliards d’euros pour leurs digues d’ici à 2015, et là aussi, elles pourraient ne pas suffire. L’ONU indique que les pays riches devraient aujourd’hui transférer de 50 à 75 milliards de dollars par an aux pays pauvres pour les aider à faire face aux changements climatiques, puis que ces financements devraient connaître une augmentation massive par la suite [10]. Mais rien de tel ne se produit.
Une enquête du Guardian révèle que les pays riches ont promis 18 milliards de dollars pour aider les nations pauvres à s’adapter au changement climatique au cours des sept dernières années, mais n’ont versé que seulement 5% de ce montant [11]. Une grande partie a été versée au titre des budgets d’aide internationale, et n’induisent aucune augmentation des sommes reçues par les pays pauvres [12]. Oxfam a fait une proposition intéressante sur le modèle de financement de l’adaptation au changement climatique : les nations devraient contribuer en fonction de la quantité de carbone émise par habitant, pondérée par leur rang sur l’indice de développement humain [13]. Sur cette base, les États-Unis devraient fournir plus de 40% des fonds et l’Union européenne plus de 30%. Le Japon, le Canada, l’Australie et la Corée, finançant le reste. Mais quelles sont les chances de les y contraindre ?
Il y a cependant une limite à ce que cet argent pourrait financer. Le GIEC indique qu’« un changement de la température moyenne mondiale supérieur à 4 ° C au-dessus des niveaux de 1990-2000 » serait au delà de « ... la capacité d’adaptation de nombreux systèmes. » [14]. Arrivé à ce point on ne peut plus rien faire pour, par exemple, prévenir la perte d’écosystèmes, la fonte des glaciers et la désintégration de principales calottes glaciaires. Le GIEC décrit ces conséquences de façon encore plus frappante : la production alimentaire mondiale devrait « très probablement diminuer au-dessus de 3 ° C » [15]. Dans une telle situation, que pourrait l’argent ?
Mais le GIEC ne s’arrête pas là. Il estime également qu’au-dessus de trois degrés de réchauffement de la planète, le monde végétal deviendrait " une source nette de carbone ", émettant plus de CO2 qu’il n’en capture [16]. Ce n’est là que l’un des exemples des rétroactions climatiques qui seraient enclenchées par un niveau élevé de réchauffement de la planète. Quatre degrés supplémentaires pourraient nous entraîner inexorablement vers cinq ou six degrés de réchauffement. Ce serait la fin pour l’homme - et à peu près tout le reste.
Jusqu’à récemment, les scientifiques décrivaient la trajectoire des concentrations de carbone - et des températures - en terme de pic suivi par un déclin. Mais une étude récente parue dans les Actes de l’Académie Nationale des Sciences indique que " ... le changement climatique est en grande partie irréversible durant 1000 ans après l’arrêt des émissions. " [17] Même si nous réduisions les émissions de carbone à zéro aujourd’hui, en l’an 3000 notre contribution à sa concentration dans l’atmosphère n’aurait diminué que d’à peine 40%. Les températures devrait rester élevées de façon plus ou moins constante jusqu’à cette date. Tout le carbone que nous émettons restera collé à nos basques.
Dans les pays riches, nous parviendrons durant quelques générations à nous débrouiller, en dépensant à près de tout ce dont nous disposons pour faire face aux conséquences du réchauffement. Mais là où l’argent sera le plus indispensable, il n’y en aura pas. La dette écologique des pays riches envers les pauvres ne sera jamais honorée, tout comme celle - jamais reconnues - de la compensation qu’il devraient offrir en réparation pour la traite des esclaves et pour le pillage de l’or, l’argent, le caoutchouc, le sucre et de toutes les autres matières premières accaparées sans juste rétribution dans les colonies. Il est peu probable que la volonté politique requise pour mettre en oeuvre des réductions drastiques des émissions de carbone se manifeste. Mais lorsque la catastrophe aura commencé, faire preuve de la volonté d’engager des dépenses afin de financer l’adaptation des nations pauvres plutôt que pour nous-mêmes, sera une tâche impossible.
Le monde ne s’adaptera pas et ne pourra pas s’adapter : la seule réponse adaptative à une pénurie mondiale de denrées alimentaires, c’est la faim. Des deux stratégies, c’est la réduction des émissions, et non pas l’adaptation, qui s’avère être l’option la plus réaliste, même elle si elle étire le concept de faisabilité jusqu’à ses limites. Comme le souligne Dieter Helm, l’action requise est aujourd’hui peu probable, mais « pas impossible. En fin de compte, c’est une question de bien-être humain et d’éthique. » [18]
Oui, il est peut-être déjà trop tard - même si nous réduisions demain les émissions à zéro - pour prévenir un réchauffement de plus de deux degrés, mais nous ne pouvons pas nous comporter comme si c’était le cas. Car ainsi nous rendrions cette prédiction certaine. Aussi difficile ce combat soit-il, aussi improbable ses chances de succès soient-elles, nous ne pouvons nous permettre de renoncer."
George Monbiot, in "The Guardian" 16/03/2009
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[1] Guardian : David Adam, 13th March 2009. Stern attacks politicians over climate ’devastation’
[2] Guardian : James Randerson, 7th August 2008. Climate change : Prepare for global temperature rise of 4C, warns top scientist.
[3] siècleKevin Anderson and Alice Bows, 2008. Reframing the climate change challenge in light of post-2000 emission trends. Philosophical Transactions of the Royal Society.
[4] Ils tablent sur une stabilisation des émissions de CO2 à 650ppm. Le GIEC suggère que cela se traduira par une température avoisinant les 4 degrés, avant même la prise en compte des rétroactions. Voir la table SPM6 de la synthèse pour les décideurs du rapport 2007 du GIEC.
[5] Stockhom Environment Institute
[6] Dieter Helm
[7] Dieter Helm, 21st February 2009. Environmental challenges in a warming world : consumption, costs and responsibilities. Tanner Lecture, Oxford.
[8] Oxfam, 29th May 2007. Adapting to climate change. Briefing Paper 104
[9] Guardian : Sea level could rise more than a metre by 2100, say experts
[10] John Vidal, 20th February 2009. Rich nations failing to meet climate aid pledges - Guardian
[11] John Vidal, 20th February 2009. Rich nations failing to meet climate aid pledges - Guardian
[12] Oxfam, 29th May 2007, ibid.
[13] Oxfam, 29th May 2007, ibid.
[14] GIEC, 2007b. Assessing key vulnerabilities and the risk from climate change.
[15] GIEC, 2007b Table 19.1.
[16] GIEC, 2007b, ibid.
[17] Susan Solomona,1, Gian-Kasper Plattnerb, Reto Knuttic, and Pierre Friedlingstein, 16th December 2008. Irreversible climate change due to carbon dioxide emissions.
[18] Dieter Helm, 21st February 2009, ibid.
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